1. Genève, 1945. On est en juin ou juillet, la période de la fenaison. La guerre ensanglante encore pour quelques semaines le théâtre des opérations du Pacifique. Dans le parc de l'Ariana, des agriculteurs sont à leur labeur. Au fond, comme en trompe-l'œil, on voit le bâtiment de l'ex-Société des Nations et future Organisation des Nations (dés)Unies qui ne perturbe pas l'activité des paysans qui suivent le rythme des saisons. J'apprécie ce cliché contrasté qui m'évoque le bon sens paysan à côté des illusions pacifistes. Je l'ai vu sur l'excellent site notrehistoire.ch où il a été partagé par la famille Cujean-Serex. L'auteur de la photo est inconnu.

    Pour la B.O., c'est l'occasion de déposer sans honte un lien vers le titre d'un groupe français que j'écoutais pas mal durant mon adolescence à côté de Roxy Music, Deep Purple, les Beatles ou Neil Young (dont le formidable album On The Beach ressort en vinyl ces jours.). Sous l'influence des formations britanniques de folk-rock Pentangle et surtout Fairport Convention, cette matrice, Gabriel Yacoub forma au début des années 70 Malicorne pour revisiter le répertoire des chansons traditionnelles des provinces qu'il bombarda de sons électriques rock en soignant les parties vocales. De l'album Almanach (1976), j'ai extrait Voici la Saint-Jean.

    Note : Karl Zéro, tout punk qu'il fût, était aussi à l'époque un fan du groupe emmené par Gabriel Yacoub dont j'apprends qu'il nous a quittés hier à l'âge de 72 ans. Alors oui parfois, Les choses les plus simples... Ne jamais oublier...

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  2. Isabelle Mity est une universitaire passionnée par le cinéma allemand de la première moitié du XXe siècle. Elle a choisi d'empoigner un thème aussi glamour que contrasté et controversé : Les actrices du IIIe Reich, un essai sous-titré Splendeurs et misères des icônes du Hollywood nazi que publie Perrin. Je vous en reparle. (J'ai débuté sa lecture : ça a de la tenue et c'est plein d'anecdotes aussi croustillantes qu'édifiantes.)

    Il y a quelques années, j'avais consacré un billet à Die grosse Liebe/Un grand amour réalisé en 1942 par Rolf Hansen pour la UFA avec la Leander dans son seul film de "propagande". 

    Produit pour vanter les mérites de la femme allemande dans le IIIe Reich alors en guerre totale, il offre plusieurs niveaux de lecture. Le Dr Gœbbels, cinéphile averti et "inventeur" de la propagande moderne, savait que la diva numéro un du cinéma nazifié était bien plus précieuse dans des films d'amour et de passions "classiques" où sa voix envoûtait et engourdissait le public que dans des productions ouvertement politiques assommantes. Une anecdote. Le réalisateur n'ayant pas trouvé suffisamment de femmes aussi grandes que Zarah à la morphologie plutôt, hum, massive, le chœur autour de la diva fut constitué de SS de la Leibstandarte Adolf Hitler envoyés sur le plateau et travestis par un ordre de mission, la production économisant au passage les cachets de la figuration.

    Dans les camps de concentration, les détenus entendaient les chansons de Zarah diffusées par les postes de radio des gardiens SS. Certains survivants affirmèrent que les paroles de Je sais qu'un jour surviendra un miracle leur donnaient l'espoir de rester en vie jusqu'à la fin de la guerre. Bruno Balz qui écrivit quelques unes des chansons les plus célèbres de l'actrice fut dénoncé en 1941 comme homosexuel et passa plusieurs semaines dans les cellules de la Gestapo à la Prinz Albrecht Strasse. Il fut libéré grâce à l'intervention courageuse du compositeur Michael Jary qui parvint à convaincre le SD que le parolier était indispensable à la production des prochains films de Zarah. Informée de la situation du parolier qui lui avait permis de gagner des milliers de DM, elle ne fit rien. La diva fut une opportuniste "apolitique" qui se replia dans sa Suède natale en 1943 quand elle comprit que le Reich allait perdre la guerre.

    Sur la belle couv', Zarah Leander en 1939.

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  3. Sur une plage de Normandie en 1947 par David "Chim" Seymour co-fondateur de l'agence Magnum.

    Ce genre d'image a un effet rafraîchissant sur mon moral car la lourdeur genevoise n'est pas uniquement climatique, ça serait trop simple. Ici, on vit à l'année sous une cloche de moiteur faite de bêtise, d'incompétence et d'arrogance : notre météo locale. 

    Local encore :
    - Tu sais la différence entre Harvey Weinstein et les harceleurs de la Radio Télévision Suisse ?
    - Heu... Non.
    - Weinstein a produit de bons films.
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  4. Un nuit à Chicago par Stanley Kubrick qui débuta sa fabuleuse carrière comme photographe. Il n'avait que 16 ans lorsqu'il plaça son premier cliché de reporter pigiste. Je vais trouver un bon morceau de bop pour aller avec. Ah oui : belle nuit ! Je parlais d'un super titre de jazz bop. Voilà, voilà : à tout seigneur, on retrouve le grand Charlie Parker avec Now's The Time gravé en 1945. Snap ! Snap ! Snap ! Faisaient les doigts des hipsters qui n'en croyaient pas leurs esgourdes en découvrant les pépites du divin souffleur qui bouleversa la manière de jouer le jazz. A la Nouvelle-Orléans, to make d'jazz pouvait signifier vivre à fond ou/et faire l'amour. Quand j'observe certains musiciens actuels qui atteignent des sommets de virtuosité sans âme, je me dis qu'ils devraient essayer de retrouver un peu de l'esprit originel de l'affaire et se lâcher. Mais voilà, comme pour le rock'n'roll des années 50, c'est sans doute un vœu pieux car on ne peut recréer le cadre et les sensations d'une époque. Je préférerai toujours les originaux imparfaits mais incarnés aux virtuosités vaines des interprètes actuels.
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  5. Miss Hazel Brooks sur un photogramme promotionnel pour Body & Soul/Sang et Or, un film noir réalisé par Robert Rossen en 1947. Les années 40 et 50 sont l'âge d'or du genre. Si en surface l'american way of life semble avoir conquis le monde - en Europe la manne du plan Marshall aide à la reconstruction du continent ravagé par la guerre -, le polar hard-boiled (dur-à-cuire) porte à l'écran le négatif du rêve américain : des demi-sel amers, des privés désabusés, des boxeurs qui se couchent et des starlettes pulvérisées dans le miroir aux alouettes hollywoodien. L'individu est seul dans la ville vécue comme une jungle. Les titres sont durs : Asphalt Jungle, Kiss Me Deadly, The Big Sleep (R. Chandler), Out Of The Past, A Touch Of Evil (O. Welles)... Les éclairages néo-expressionnistes et les décors semblent écraser les destins individuels. La guerre froide offre alors une tribune à Joseph McCarthy qui voit des rouges partout, surtout à Hollywood. Sur le grill, Kazan donne des potes, Rossen également pour éviter d'être tricards dans les majors. Kazan ne s'en remettra pas. Quarante ans plus tard, le romancier James Ellroy réinvente l'époque avec ses romans implacables qui ont pour cadre la Cité des Anges. Adieu, ma jolie
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  6.  
    Honolulu, 1945. Une Hula Girl pose avec un marin dans le salon d'un tatoueur. 
    Ce qu'on appelle la culture Tiki Pop est née des visions ramenées par les boys du théâtre d'opération du Pacifique. Dans son excellent film (de guerre) La ligne rouge, Terrence Malick a montré l'attrait pour les cultures indigènes chez certains soldats. Après le conflit, ce besoin d'exotica s'exprima par l'acquisition d'objets de consommation produits massivement. On était au début des trente glorieuses : mobilier et ustensiles de cuisine, bibelots et décoration murale, motels et bars à thème (Tiki), les fameuses chemises hawaïennes lancées par Elvis, les films, les chansons... Alors : Tiki ? Forever !

    Photo : Wayne Miller (Magnum)

    PS : L'intérêt populaire pour le monde Aloha ! se manifesta avant guerre déjà. Dorothy (G)Lamour fut une star de l'écran. Les chansons d'Andy Iona And His Islanders connurent un vrai succès populaire. Des deux côtés de l'Atlantique, l'art polynésien séduisit une partie de l'avant-garde artistique. Pour saisir cet engouement, je vous renvoie à la somme inégalée Tiki Modern de Sven A. Kirsten chez Taschen.
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  7. Paysages... Une écriture et une vista associées :
    En haut, façon Fritz Zorn et Karlheinz Weinberger
    En bas,  John Steinbeck et John Ford.
    (Source : Shorpy)

    Karlheinz Weinberger est un personnage étonnant auquel j'ai consacré quelques billets depuis le début du blog. Vendeur de meubles à temps partiel puis employé d'une grosse boîte, il apprit la photographie seul et la pratiqua en amateur vraiment éclairé. Ses clichés de marginaux suisses - rockers, homos, Hells' Angels et asociaux volontaires - pris durant les années 50 et 60 ont une qualité professionnelle telle que des sites, des livres et des galeries ont rendu hommage à son travail depuis une quinzaine d'années. Quand on sait la politique fédérale implacable d'internements administratif forcé dont a pu être la cible cette population en marge, le travail de Karlheinz prend une dimension de témoignage artistique et social remarquable.
    Né en 1921, le photographe helvétique nous a quittés en 2006 reconnu certes tardivement mais de son vivant, heureusement.

    Sur la b.o., Sixteen Horsepower en public, un titre qui donne envie d'initier une émeute ou de lancer une croisade. Quand la culture celte est percutée par le blues.
    (Mon Dieu, pourquoi ? Pourquoi ne m'as-tu pas protégé des légions maudites, des mensonges opiacés, des filles trop faciles, des menteurs professionnels ? Pourquoi ?)
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  8. Ma fascination pour les soldats perdus de la littérature remonte à la fin des années 80. Un complice m'avait proposé de collaborer à une série radiophonique pour la chaîne culturelle de la Radio romande. Intitulée Les voyous de la littérature, ses épisodes seraient consacrés à Antonin Artaud, Truman Capote, Roger Vailland mais également aux sulfureux Drieu la Rochelle et Maurice Sachs. Durant la préparation, j'ai découvert la bibliographie de Roger Nimier qui devint mon passeur vers des écrivains proscrits pour des raisons diverses, discutables ou non. Le lancement de l'excellente petite collection Les Infréquentables publiée par les éditions du Rocher sous la direction de Michel Bulteau, autre voyou littéraire de belle surface, coïncida avec le projet radio. Bulteau confia Nimier, Styron, Vailland, de Gourmont et quelques autres bandits des lettres à de bonne plumes contemporaines. On était raccord. L'émission se fit dans des conditions un peu précaires voire chaotiques; peu importe car elle me permit de découvrir des pans entier de la littérature "oubliés" ou ostracisés par les profs de lettres et la critique en cour. Aussi, il y a quelques semaines, quand j'appris que ce vieux gauchiste de Gérard Guégan avait consacré en 2011 un essai biographique et littéraire bien tourné à l'infréquentable Jean Fontenoy, je le commandai illico et le dévorai en deux nuits.
    Le 4e de couverture de Fontenoy ne reviendra plus* apprend au lecteur que Guégan est obsédé depuis un quart de siècle au moins par la question qu'est-ce qui pousse un homme à changer de camp, à passer, par exemple, de la gauche la plus enragée à la droite la moins clémente. Jean Fontenoy fut un tel homme qui, pour reprendre le mot de Malraux, ne rata rien de ce qui comptait, tout au moins dans ses vingt ans : la Grande guerre, Dada, la révolution d'Octobre, Maïakovski, Lénine et Trotsky, Moscou et Shanghaï, Tzara et Crevel (et l'opium) mais finit par se faire fasciste. Pourquoi, comment ? Par pose, par anticonformisme, par désespoir ou par provocation... ? Je tâcherai prochainement de comprendre ce destin improbable en même temps que ma fascination pour de tels écrivains qui brûlèrent leurs vaisseaux sans espoir de retour.

    * Ed. Stock 2011 et réédition en folio.

    Photo : Jean Fontenoy et la séduisante Mme Tchang Kaï-chek en 1928. Contrairement à la légende rapportée par Dominique Fernandez dans la biographie qu'il consacra à son père, Fontenoy ne fut pas son amant.
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  9. Paris, 1948 : emballée par Dior et photographiée par Robert Capa.

    Impression d'ensemble : naturelle et sophistiquée, la touche des grands formats de la mode et de la photographie. Une année auparavant, pour exorciser les privations et le souvenir des massacres dans une Europe encore fumante des destructions massives, le couturier a lancé sa collection New Look. Succès immédiat. Trois ans après la fin de la Seconde guerre mondiale, à quoi pensent les deux personnages réunis par le photographe ? Le pêcheur est visiblement authentique. Quant à la jeune femme sous son bibi balèze, elle paraît détendue. Beau travail, Bob.
    (A plus loin)
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  10. Ces œuvres de Paul Colin pour annoncer la diffusion sur RTS 2 d'un portrait documentaire consacré à l'une des personnalités les plus vibrionnantes et les plus attachantes des arts de la scène au XXe siècle : Joséphine Baker, première icône noire, un film réalisé par Ilana Navaro.
    La diffusion linéaire aura lieu le 16 décembre à 21h15.
    Pour les téléspectateurs romands, le doc' est en ligne.

    Les premières sentences de l'introduction - pourquoi ce ton navré ? - me font craindre la réduction d'un destin artistique et humain formidable à une figure investie par la grille du politiquement correct. J'ai envie de voir un film original sur Joséphine, pas un doc' sur la ségrégation aux Etats-Unis et le mouvement des droits civiques selon les belles consciences européennes*, ça je connais. Au passage un petit rappel : le champ historique appartient aux historiens** qui savent qu'il ne faut pas appréhender une époque à l'aune des paramètres idéologiques et militants/partisans d'aujourd'hui mais en s'efforçant de comprendre les faits et leurs acteurs à la lumière de la connaissance raisonnée de cette même période.
    Ainsi que je craignais, la réalisatrice a voulu faire entrer l'artiste Joséphine avec tout ce qu'implique ce statu, à savoir un égo puissant, un désir de réussite et de revanche, l'affect en bandoulière et une vie amoureuse agitée, dans une case de proto-militante pour les droits civiques. Pour cela, elle et ses intervenants ont posé sur leur sujet d'étude une grille réductrice. (On sentait poindre le reproche envers Joséphine de n'avoir pas été assez engagée.) Avant d'être tardivement une figure de ce mouvement, la danseuse, chanteuse et meneuse de revue fut une personnalité singulière, éclatante et scandaleuse dont le talent, stimulé par un besoin de liberté, excita certains des meilleurs créateurs des années 20 et 30 à Paris, ville curieuse et libertine où elle put s'exprimer. C'est cette Joséphine que j'aurais aimé (re)découvrir à travers les œuvres qu'elle inspira, une reconnaissance artistique qui prit une dimension internationale après le second conflit mondial et modifia avec humour et glamour la vision de l'autre, en l'occurence la femme noire.
    Ces dernières saisons, l'utilisation abusive de personnalités marquantes du passé pour nous faire la leçon aujourd'hui est une dominante des médias européens qui passent à côté de leur sujet en raison de cette obsession. L'art et l'histoire sont libres et rien ni personne ne pourra les ramener dans les casernes idéologiques dont ils se sont affranchis.

    * Leur grille de lecture qui date du début des années 60 doit être révisée.

    ** Il y a quelques années, las des descentes de police politiques dans leur discipline, 160 chercheurs français signèrent un manifeste pour qu'on les laissât étudier l'Histoire en paix. Il était déjà bien tard...
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