J'avais décidé de ne plus déposer de notes nécrologiques. Trop déprimant... Mais l'annonce de la disparition samedi dernier de l'un des mes (anti?) héros préférés me pousse à rompre cette promesse. En 1978/79, la découverte du rock minimaliste, abrasif et singulièrement libre - comme le jazz du même nom - de Tom Verlaine avec son groupe Television bouleversa ma perception du genre comme Roxy Music l'avait fait quelques années avant par le son nouveau et l'attitude audacieuse. C'était un soir de 1978 ou 79* chez Bernard B., un prof de français curieux de tout ce que produisait l'avant-garde littéraire, cinématographique et musicale de l'époque. Après le repas, il nous a offert un bourbon ("du Four Roses comme Marlowe") avant de glisser une K7 dans le lecteur. Sur la bande, l'extrait d'une émission de France Culture consacrée à ce qu'on appelait la new wave. Les premières notes aigües de Elevation montèrent en boucles dans la pièce. Les plus bavards d'entre nous se turent. Un moment parfait. Je reçus les parties de guitares de Tom Verlaine et Richard Lloyd comme autant de "coups de trique" en pleine tête. Marquee Moon devint un disque de chevet et de révolte. Je le jouais quand j'avais le spleen - le mal par le mal - ou au contraire, quand un rayon de soleil réchauffait ma vie de jeune citadin sceptique et énervé. Tom et ses complices participaient à la création du son de New York avec Mink Deville, Blondie, Talking Heads, The Dictators et bientôt Grand Master Flash ou les Comateens. Sexy et dépressif à la fois, je ne cherchais pas à trancher. Je prenais tout. Sur scène, il incarnait l'élégance désabusée de ceux qui sont revenus de Hell's Kitchen. Ses ailes abîmées sentaient le roussi. Il y eut un avant et un après sa rupture salutaire.
Je vais ressortir Dreamtime, son deuxième projet solo en 1981.
* Je le répète, il y eut entre 1977 et 1989 une parenthèse à la fois rude et enchantée. Certes, le monde occidental vivait une énième crise, la guerre froide se réchauffait - la Pologne soulevée faisait craindre un embrasement général - mais la jeunesse stimulée réagissait comme si tout semblait possible et souvent, ça l'était. Elle créait en narguant les ennuyeuses grandes personnes. Aujourd'hui, il est de bon ton chez les mutins de Panurge de ridiculiser cette décennie et de culpabiliser ses ex-jeunes acteurs devenus des sexagénaires goguenards. Selon les socio-barbus postmodernes et autres fonctionnaires du prêt-à-penser sociétal binaire, ce furent des années bling bling, boomer, toxiques,... Peut-être, mais je donnerais ma discothèque pour qu'une génération vienne nous botter le cul comme nous le fîmes à l'époque en balançant nos bottes et doc Martens dans le postérieur avachi de nos aînés hippies-freaky et post-soixante huitards. Pour moi réagir n'a jamais été synonyme de régression.
Sur la B.O. du début des années 80, il y avait West One Shine On Me by The Ruts.
(Photo : coll. Redferns)
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