Ma fascination pour les soldats perdus de la littérature remonte à la fin des années 80. Un complice m'avait proposé de collaborer à une série radiophonique pour la chaîne culturelle de la Radio romande. Intitulée
Les voyous de la littérature, ses épisodes seraient consacrés à Antonin Artaud, Truman Capote, Roger Vailland mais également aux sulfureux Drieu la Rochelle et Maurice Sachs. Durant la préparation, j'ai découvert la bibliographie de Roger Nimier qui devint mon passeur vers des écrivains proscrits pour des raisons diverses, discutables ou non. Le lancement de l'excellente petite collection
Les Infréquentables publiée par les éditions du Rocher sous la direction de Michel Bulteau, autre voyou littéraire de belle surface, coïncida avec le projet radio. Bulteau confia Nimier, Styron, Vailland, de Gourmont et quelques autres bandits des lettres à de bonne plumes contemporaines. On était raccord. L'émission se fit dans des conditions un peu précaires voire chaotiques; peu importe car elle me permit de découvrir des pans entier de la littérature "oubliés" ou ostracisés par les profs de lettres et la critique en cour. Aussi, il y a quelques semaines, quand j'appris que ce vieux gauchiste de Gérard Guégan avait consacré en 2011 un essai biographique et littéraire bien tourné à l'infréquentable
Jean Fontenoy, je le commandai illico et le dévorai en deux nuits.
Le 4e de couverture de
Fontenoy ne reviendra plus* apprend au lecteur que Guégan est obsédé depuis un quart de siècle au moins par la question
qu'est-ce qui pousse un homme à changer de camp, à passer, par exemple, de la gauche la plus enragée à la droite la moins clémente. Jean Fontenoy fut un tel homme qui,
pour reprendre le mot de Malraux, ne rata rien de ce qui comptait, tout au moins dans ses vingt ans : la Grande guerre, Dada, la révolution d'Octobre, Maïakovski, Lénine et Trotsky, Moscou et Shanghaï, Tzara et Crevel (et l'opium)
mais finit par se faire fasciste. Pourquoi, comment ? Par pose, par anticonformisme, par désespoir ou par provocation... ? Je tâcherai prochainement de comprendre ce destin improbable en même temps que ma fascination pour de tels écrivains qui brûlèrent leurs vaisseaux sans espoir de retour.
* Ed. Stock 2011 et réédition en folio.
Photo : Jean Fontenoy et la séduisante Mme Tchang Kaï-chek en 1928. Contrairement à la légende rapportée par Dominique Fernandez dans la biographie qu'il consacra à son père, Fontenoy ne fut pas son amant.
Ajouter un commentaire