1. Chapitre VII

                                             Les Femmes de ménage et la révolution,
                                                                  par Etienne Weil*

    "Que n'existe-t-il un aspirateur pour la poussière de l'âme, toutes les rancœurs accumulées depuis des lustres, toute la nostalgie indécrottable, les petits riens dans les recoins du souvenir, les petites tracasseries jamais nettoyées, les dépôts de l'ennui, les particules de neurasthénie, toute la chienlit qu'on absorbe au cours des jours. Les jours salissent nos espoirs, polluent nos sentiments et je n'aimerais pas renifler une âme de trop près, les puanteurs du corps ne sont rien en comparaison de la vie infecte qui germe à l'intérieur. Il faudrait des domestiques pour, tous les vendredis, épousseter les salissures occasionnées par le bavardage et la nullité de nos rencontres. Le faire vraiment, laver, ne pas s'accommoder, à la façon d'une cure psychanalytique, prompte à ce que chacun aime ses bobos comme on s'habitue à sa propre odeur."
    Voilà ce que je me disais, en regardant la femme de ménage astiquer le sol et frotter les tables de la maison d'édition.
    Voilà ce qu'on dit pour différer de reprendre la maîtrise de soi, d'évacuer ce qu'il y a de mauvais en soi, on attend une solution de l'extérieur, comme n'importe quel communiste, comme n'importe quel révolutionnaire espérant la destruction de la société pour oblitérer la médiocrité de la vie. Abjection des utopies, la tragédie de la condition humaine excède de toutes parts la question politique. Je méprise toute personne qui réduit la détresse à sa dimension sociale, morale, politique. Le rapport aux autres, l'organisation de la cité, n'est qu'un aspect de l'existence... Cette femme de ménage m'est proche par l'incongruité de son apparition sur terre, et dès lors, parce qu'elle doit subir l'humiliation d'exister - qu'elle ne ressent peut-être pas -, elle n'est pas ma semblable parce que nous serions tous deux exploités par une société injuste. Toute organisation des hommes entre eux, selon le point de vue auquel on se place, tourne à l'injustice, génère l'inégalité. Je ne ressens pas le métier usant que je fais plus abusif et ingrat que la pluie, l'ouragan, le babil des fâcheux. Je n'assimile pas non plus tous les systèmes les uns aux autres, ce serait commettre la même erreur que les démocrates qui égalisent tous les esprits : un système politique est d'autant plus estimable qu'il respecte les solitudes, d'autant plus haïssable qu'il consacre les rassemblements. La civilisation la plus douce protège les solitaires de la foule, promeut l'inutile comme le souverain bien.
    Je ne donne à la politique qu'un temps restreint... Envie de pleurer à cause de tous ceux qui veulent faire mon bonheur, parce que ce qui est étriqué blesse notre orgueil : qu'ils aillent au diable, les vendeurs de lendemains qui chantent ! Ronde de l'humanité folle d'elle-même, scoutisme de l'âme, lèpre sentimentale... Lorsqu'une dent cariée me fait souffrir, je me rends chez le dentiste ; lorsqu'il faut voter, je mets mon bulletin dans l'urne pour élire les femmes de ménage qui s'occuperont des affaires de la cité.

    Patrice Jean, L'homme surnuméraire, éditions Rue Fromentin.

    Ces lignes terribles sont d'une lucidité douloureuse à notre époque de désagrégation organisée par une toile de diffuseurs médiatiques et culturels prônant le nihilisme tels ces propriétaires de journaux multimillionnaires "de gôche" qui soutiennent des groupes ultra dans le but de liquider les structures d'avant. Leur but ? Faire des derniers citoyens critiques des consommateurs mondialisés. Je respectais l'ancien monde car il fallait mériter son opposition.

    * Dans le roman à tiroirs de Patrice Jean, Etienne Weil est un directeur de collection progressivement mis sur la touche par le patron de la maison d'édition pour laquelle il travaille. Il reviendra en cour avec une collection-concept désespérante... désespérée ? C'est l'âme damnée et misanthrope de Clément, un universitaire velléitaire de trente ans engagé pour expurger des textes classiques de tout ce qui n'est pas politiquement correct.

    Si vous ne devez lire qu'un roman français cette saison, ouvrez L'homme surnuméraire.
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  2. Annie Gœtzinger a tiré sa révérence le 20 décembre 2017. Dans son œuvre pionnière, elle abordait des sujets et des domaines historiques peu ou pas traités par la bande dessinée en France avant elle. J'aimais son trait précis, documenté et élégant au service de chroniques originales. Sur des scripts de Pierre Christin, La Demoiselle de la Légion d'Honneur (1980) suivie de La Diva et le Kriegspiel (1981) puis La voyageuse de la Petite ceinture (1985) m'avaient séduit. Je voulais lui rendre un modeste hommage pour15minutes. L'époque épuise les belles sensibilités. Trop de gens bien disparaissent prématurément.
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  3. Une vision rétro-futuriste de Laurent Durieux repérée par Debout sur le site Flashba(c)k
    L'illustrateur cinéphile revisite avec talent des classiques du 7e art.

    Dans le jukebox, une des meilleures capsules pop de notre Serge, L'Anamour
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  4. Pour être sincère, la musique de Mark E. Smith me cassait un peu les oreilles* mais j'appréciais les volées de bois vert administrées régulièrement par le trublion du rock britannique à ses contemporains assoupis dans le confort intellectuel de leur belle conscience d'ex-punks essorés.
    L'irréductible Mark E. Smith a cassé sa pipe. Ça me touche mais en même temps je pense qu'il a tiré sa révérence au bon moment. A soixante piges, que pouvait-il encore espérer de ce monde ersatz ? Pour lui rendre hommage, je recommande la lecture de Renégat son autobiographie lucide, féroce et drôle éditée en français par Le Serpent à Plumes il y a quelques saisons. (un succès de librairie outre-Manche à sa parution.) Je vais en relire des passages pour tâcher d'extraire une ou deux citations savoureuses. J'emploie "tâcher"... Je reste prudent car un rien suffit à me faire rebondir ailleurs. Plaisir et limites d'un blog. Cela dit, je termine ma petite nécro sur une citation de Mark E. Smith : Quand on m’explique que j’ai un problème d’alcool, je réponds que c’est vrai. Notamment où m’en procurer après onze heures du soir.
    Alors prosit, vieille canaille !

    Pour la bande-son, Debout propose la reprise par The Fall d'un titre gravé en 1966 par The Other Half, un groupe proto-punk psycho-fuzz-fuzz établi à San Francisco : Mr Pharmacist.
    La version originale
    La reprise de The Fall l'année 1986. Avec ce titre, Mark E. Smith est entré dans les charts. Ça n'a pas dû lui arriver souvent. A noter que l'album suivant, The Frenz Experiment est considéré par les aficionados comme l'une des meilleures plaques du groupe aussi j'ajoute There's a Ghost in My House tiré du 33T à la bande-son.

    * Malgré plusieurs tentatives étalées sur les décennies, je n'a jamais réussi à achever l'écoute d'une face de l'un de ses nombreux albums, aussi je me fie à vos choix. Vous pouvez me convaincre en me proposant un ou plusieurs titres de The Fall. Comme d'hab' je suis preneur.
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  5. A l'ère du grand nivellement, la contemplation assidue d'œuvres d'art reste la meilleure protection contre les fâcheux. Si elles satisfont aux trois exigences fondamentales de la création artistique validées par le temps, à savoir l'incarnation, la transcendance et la verticalité, elles forment une armure invisible et offrent à l'amateur un champ infini de plaisirs esthétiques. Incarnation, transcendance, verticalité.
    Je vous donne le bonsoir.

    Photo : Daidō Moriyama
    Les superbes clichés des ex-photographes du groupe nippon rassemblés autour de la revue Provoke prouvent une fois encore que le talent transcende le contexte idéologique. Ils ne publièrent que trois numéros entre 1968 et 1969 mais ces éditions ont modifié radicalement la façon de capter le réel, au Japon et ailleurs. Ironiquement, les conditions objectives (soupir) du langage gauchiste de l'époque ont été abordées et travaillées de façon très... subjective par les photographes du groupe. Leur puissance évocatrice échappe bel et bien aux réductions idéologiques.
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  6. En janvier, Arte rend hommage à Paul Verhœven, le dernier des grands cinéastes européens, un artiste capable de bluffer l'Industry hollywoodienne, aussi à l'aise dans un film sur les chorus girls de Las Vegas, la peste au temps des guerres de religion, les robots flics du futur ou la relation sado-maso mise en scène dans le superbe et tranchant Elle avec Miss Huppert au somment de son art.
    Ce soir au programme, Showgirls (20h50) et La chair et la sang (22h55). On rappelle le sort réservé à Showgirls descendu en flammes par des critiques d'une mauvaise foi aveugle et réévalué depuis par ceux-là même qui l'avaient éreinté. Ils étaient passés complètement à côté d'une caractéristique du réalisateur batave : son goût du pastiche, du second degré, qu'une maîtrise de son art lui permet de réussir, chacun de ses films offrant plusieurs niveaux de lecture au spectateur. (Pulsions primaires, provocation, critique du cynisme de la société américaine avec son double discours sur le sexe et en même temps, un désir de toucher le plus large public qui le pousse à employer avec brio les clichés du film de genre.)

    A voir ou à revoir en ligne, le portrait du réalisateur Paul Verhœven, cinéaste de la provocation jusqu'au 22 mars.

    Scans : Elizabeth Berkley et Gina Gershon sont deux danseuses meneuses de revue, concurrentes et complices dans Showgirls. (1995)
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  7. Avant, sauf concert exceptionnel, on ne serait jamais sorti un samedi soir. On trouvait ça vulgaire. Elitisme, snobisme ? On s'invitait parmi avec tout ce qu'il fallait pour passer une excellente soirée. Disques choisis, additifs autorisés (ou pas), alcools sérieux. Bons souvenirs. Aujourd'hui, les rescapés perpétuent cette saine habitude devenue tradition.

    Miss Linda Lin Dai pour glisser dans la nuit. Nuit de Chine...
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  8. Par Dora Maar
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  9. Elle a un sourire désarmant et on suivrait volontiers un stage de survie en sa compagnie. Rossiana Markovskaïa est la nouvelle et très glamour porte-parole du ministère russe de la Défense. Derrière une façade fermée à triple tour, son chef le peu amène général ministre Sergueï Choïgou a fait montre d'un choix audacieux en proposant ce poste très exposé à l'ex-présentatrice télé de vingt-six printemps issue de l'Université fédérale d'Extrême-Orient. Le regain actuel de tensions internationales exige un coup d'œil lucide, du sang-froid, une réactivité raisonnée et le sens de la comm'. Dans les mois à venir, on verra si le ministre Choïgou a bien fait de confier sa comm' à une porte-parole dotée en sus d'une arme de séduction massive, son charme.

    Les haut-parleurs de la caserne crachent Disco in Moscow des Vibrators, un groupe punk historique formé à Londres en 1976. C'est le genre de morceau un peu idiot qui réveille de bons souvenirs. A la fin des années 70, on se cassait les genoux en dansant dessus au cours de parties bien arrosées et boostées au speed.
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  10. En attendant quelque chose de plus conséquent, pour rebondir sur un commentaire de Debout, un clin d'œil au Berlin d'avant 1989 avec ce cliché de la photographe Ilse Ruppert : Nina Hagen pose devant le Mur. A la sortie du premier album de la diva contrariée, on a un vite étiqueté "punk" le groupe qui l'accompagnait. Or, si on écoute attentivement l'intro du morceau Auf'm Bahnhof Zoo im Damenklo (ici en public), on se rend compte qu'ils jouent bien, trop bien même pour des punks. Ces gars-là étaient rodés. Ils répétaient déjà ensemble quand, en 1977, ils croisèrent la route de la chanteuse venue de Berlin Est. En 1980, ils formèrent Spliff, nom sous lequel ils ont décroché des hits pop-rock un peu roublards durant la première moitié des années 80. (Carbonara, par ex.)
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