Peut-on vraiment partager notre passion pour Kubrick ?
(...) pour nous qui avions « compris » 2001, ce film qui laissait sur la touche nos parents et condisciples, les premiers ne jurant que par Rio Bravo, les seconds que par Le grand bleu ; pour nous qui avions découvert Orange mécanique avec notre alexienne mère et que notre eyes wide shutien de père nous interdit de revoir jusqu’à dix-huit ans et fit qu’il devint à nos yeux écarquillés le film absolu de notre vie ; pour nous, théologiens autoproclamés du monolithe et du labyrinthe, du cerveau et de l’œil, de la grimace et du masque ; pour nous qui connaissions par cœur autant ses films que ses commentateurs et pour qui le livre originel et définitif, pour ne pas dire divin, de Michel Ciment, fut notre Ancien Testament et celui de Michel Chion, précisément plus « humain », notre Nouveau Testament ; pour nous qui vouions aux enfers du philistinisme honteux et de l’insensibilité crasse tout contempteur malheureux de son œuvre ; pour nous qui faisions de tout bémol à l’égard de celle-ci une affaire personnelle, étant prêts à se battre en duel, comme dans Barry Lyndon, avec celui ou celle (o Pauline Kael ! Comme nous avons souvent rêvé d’en faire notre femme aux chats !) qui osait ne pas admirer Stanley comme il le fallait ; pour nous qui aurions exagéré le « fascisme » kubrickien rien que pour énerver l’anarchisme gaucho-godardien ; pour nous, enfin, qui n’attendrons plus jamais aucun film comme nous avons attendu Eyes wide shut, son œuvre la plus complexe et la plus incomprise depuis 2001, et le seul film du maître dont nous aurons été le contemporain - qu’aurions-nous été foutre dans une exposition bon marché, forcément pédagogique, donc inutile à notre connaissance, dangereusement fétichiste, donc fatale à notre vanité, et finalement mortifiante pour notre supposée singularité ? Car il faut bien le reconnaître : nous ne sommes plus les seuls à nous croire kubrickologue en chef. (...)
Ajouter un commentaire